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© photo : Frédérique Chapuis

Dernière marche : un aller simple

Le 19 février 2019, au petit matin, dans le marché du bétail de Lomé, les derniers troupeaux quittent les lieux pour aller à la recherche du pâturage. C’est le train-train quotidien de ces milliers de bovins qui arrivent ici, avant de trouver preneur. Situé à 22 kms au nord de la capitale togolaise, le parc à bétail « Adéti Kopé » constitue l’un des marchés les plus importants du pays. Immersion dans l’organisation de ce « business » qui n’est pas une promenade de santé.

C’est avec « Ouezon » qui signifie bienvenue en langue locale que nous avons été accueillis à 7h30. Après les poignées de mains chaleureuses, nous sommes donc guidés par le gestionnaire en chef de ce marché de bétails, monsieur Dékou Komla, 55 ans environ, 1m70, teint noir, chemise wax assortie de jean bleu et casquette sur la tête pour supporter le soleil de Lomé et sa chaleur étouffante avoisinant les 35 degrés. Véritable plaque tournante, le site enregistre un passage de douze mille têtes de bovins par an. « Ce marché, dit-il, reste le plus dynamique de la sous-région en ce sens que nous recevons du bétail de cinq pays différents : le Bénin, le Burkina Faso, le Niger, le Mali et le Ghana. »  


Cela donne une idée précise de l’importance et de l’organisation du marché de Lomé centré autour de notre interlocuteur. Cette diversité de provenance du bétail dépend en grande partie de la régularité et de la disponibilité des ressources. Et certains obstacles, liés aux tracasseries routières par exemple, ont nécessité l’intervention des pouvoirs publics. Ainsi, des points de contrôle qui étaient jadis de plus d’une dizaine sont aujourd’hui réduits à trois. Des efforts qui ont contribué à redynamiser l’activité pastorale et notamment le commerce du bétail au Togo. Cette politique de gestion bien huilée, de l’avis de monsieur Komla, soutient un marché qui contribue, à hauteur de six cent à huit cent mille francs CFA par mois, au trésor public. Ces recettes, prélevées sous forme de taxes d’usages du parc – mille francs par tête à l’entrée et deux mille francs par tête à la sortie du parc –, peuvent varier en fonction de la demande et de l’offre. Le marché connaît son point culminant au mois de décembre et durant les mois de fêtes religieuses comme la Tabaski et le Ramadan. En ces périodes, la fourchette est comprise entre mille deux cents et mille cinq cents têtes de bovins. En dehors de ces moments de fête, la moyenne tourne autour de mille têtes par mois, selon nos sources. Ce qui nous amène à la statistique de douze mille bovins par an, évoquée par le responsable de la gestion de ce marché.

Il nous apprend également que les sommes collectées sont consacrées à plusieurs rubriques de dépenses dont le paiement des salaires, les frais d’entretien du marché, la commission des négociants et la part du trésor.Tous ces profits proviennent du commerce de bétail, une activité lucrative ici au Togo. Et ce n’est pas Abdoulaye Tonga, commerçant de son état, qui nous démentira. Né en 1953, ce citoyen togolais pratique le commerce de bétail depuis près de quarante ans. « J’ai fait, dit-il, le tour de la sous-région ouest africaine. Partout j’ai acheté des bovins pour les conduire au marché de Lomé. J’avoue que ce n’est pas une partie de plaisir. Il y a beaucoup de tracasseries et cela impacte négativement notre activité. Depuis quelques dizaines d’années maintenant, je ne sors plus du Togo pour ces raisons et bien d’autres… Même avec cela, ce n’était vraiment pas de tout repos. Nous acheminions le bétail à Lomé, à pied. C’était lent, difficile, risqué mais moins coûteux. Nous rencontrions des difficultés avec les paysans des zones traversées. Cela provoquait des conflits parfois mortels. Donc voyez-vous, cette expérience me sert aujourd’hui. À 66 ans, j’économise désormais mes forces et mon énergie en pratiquant l’élevage, ici, à Lomé, pour pallier des manques probables. Le plus souvent je vais maintenant à la rencontre des éleveurs dans des marchés proches de la capitale et j’achemine le bétail par camion, à raison de cinq mille francs CFA par tête. Une fois sur place, je contacte mes fidèles clients et les potentiels acheteurs. Les prix varient entre cent quarante mille francs CFA et cinq cent mille, en fonction de la taille de la bête et de la demande. » 

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Si l’on en croit les explications de monsieur Tonga, il effectue, par camion, un convoi par mois, composé de trente-cinq à quarante têtes de bovins. Mais pendant les périodes de fortes demandes évoquées plus haut, cela peut varier entre deux et trois rotations par mois. L’activité présente des hauts et des bas, en ce sens que des convois peuvent enregistrer des pertes dues à la mort ou à des blessures des animaux, combinées aux nombreuses charges liées aux taxes précitées. Cela constitue par conséquent un véritable manque à gagner pour le commerçant, a déploré notre interlocuteur.

Somme toute, après avoir consacré toute sa vie au commerce de bétail, Abdoulaye Tonga magnifie ce métier qui l’a révélé dans sa région.

L’organisation de ce marché à Lomé nécessite des intermédiaires. Ils sont appelés rabatteurs ou négociants. Leur travail consiste à rapprocher les clients et les commerçants. Aladji Assani Barry, négociant depuis près de vingt ans au parc au bétail de Lomé nous dit : « Dans ce marché, l’activité de commerce de bétail ne peut pas se faire sans nous. À titre d’exemple tout simplement, je connais les principaux acheteurs de la ville et cela me donne beaucoup de facilité à écouler très rapidement. Nous sommes une centaine de négociants, mais tous n’ont pas la même crédibilité ou la même cote. Moi, personnellement, beaucoup de commerçants me font confiance et je vous assure que ça marche bien. Chaque tête vendue nous procure trois mille francs CFA à la charge du client acheteur. Cet argent sous forme de taxe ou de commission est appelé TALMA. Moi, par exemple, grâce à mon carnet d’adresses, il m’arrive de vendre un convoi de trente-cinq à quarante têtes en seulement deux jours. En plus de cette somme retenue sur chaque tête vendue, le propriétaire commerçant me donne une commission. Mais cela n’est pas déterminé. Faites vous-même le calcul. Vous voyez que c’est une activité rentable ! Il arrive même parfois que nous gagnions plus d’argent que le commerçant de bétail pour qui nous travaillons. »


Pour maintenir ces acquis et continuer à profiter pleinement de ce marché, bâti sur deux hectares et demi, les principaux acteurs souhaiteraient sa délocalisation pour des raisons d’inondation constante. Le site établi dans un bas-fond est à chaque fois dans un état piteux de praticabilité après la pluie. Des situations inconfortables qui peuvent, à la longue, constituer un réel obstacle à son bon fonctionnement. On rappelle que ce marché créé en 1978, a seulement véritablement commencé à fonctionner en 2002. Les usagers de l’époque trouvaient le site très éloigné de la ville. Aujourd’hui, on envisagerait même, selon nos sources, un grand complexe qui regrouperait un marché de bétail et un abattoir moderne. Mais en attendant tout cela, l’organisation du commerce de bétail au Togo continue d’éclairer la voie dans la sous-région ouest-africaine.

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Youssouf Kaba

Journaliste - RTS TV - Sénégal
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