Transverses
Site d'information sur les enjeux de l'élevage et du pastoralisme en Afrique de l’Ouest et du Centre
Resource hub on the challenges of livestock breeding and pastoralism in Western and Central Africa
© photo : Gilles Coulon/Tendance Floue
Afrique de l’Ouest : le ranching, une solution ? fausse idée ?
Entretien avec Christian Corniaux du CIRAD
Au moment où plusieurs pays ouest-africains affichent leur volonté de promouvoir l’implantation de ranchs d’élevage sur leur territoire pour pallier la mobilité du bétail et mettre un terme aux conflits entre agriculteurs et éleveurs, certains experts sont d’avis que les ranchs ne peuvent pas remplacer la mobilité du bétail.
C’est le cas de Christian CORNIAUX du Cirad.
Plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest comme le Nigeria pensent que l’établissement des ranchs pourrait mettre fin à la mobilité du bétail et par ricochet les conflits entre éleveurs et agriculteurs. D’abord qu’est-ce que c’est que le ranching ?
Christian CORNIAUX : Le ranching, à la base, c’est élever des animaux dans un espace clos. Et pour élever des animaux dans une clôture, cela ne coûte pas cher. On a seulement besoin d’assez d’espace pour nourrir ces animaux dans la clôture. Mais les modalités du ranching relèvent des questions techniques d’élevage et des questions foncières, c’est-à-dire à qui appartient le terrain, ce qui est une question extrêmement importante. Ce sont des modalités qui peuvent prendre diverses dimensions en fonction des uns et des autres et surtout en fonction des conditions que l’on va trouver sur le terrain, en particulier dans les pays côtiers, notamment au Nigeria.
Faites-nous un historique du ranching.
Christian CORNIAUX : En Afrique de l’Ouest, le ranching est assez ancien, même si la notion est apparue aux États-Unis vers le XIXe siècle. Le ranching est né sur des grands espaces peu utilisés par l’agriculture, c’est très important à noter. Ces grands espaces plutôt marginalisés, où il ne pleut pas assez, dont la seule façon de les valoriser était d’y élever des animaux. C’est pourquoi ce phénomène s’est bien développé aux États-Unis au XIXe siècle et en Australie où le phénomène existe toujours, parce que l’Australie est un pays où il y a très peu de gens, avec beaucoup d’espaces marginaux, très peu arrosés, et où l’agriculture n’est pas possible non plus. C’est pourquoi le ranching s’est développé dans ces zones.
En Afrique de l’Ouest, c’est quelque chose qui n’est pas aussi jeune que ça. Au début du XXe siècle, au temps des différentes colonies, il y a eu plusieurs tentatives de création de ranchs avec des statuts très différents, notamment avec les pays sahéliens. Il y avait à l’époque beaucoup d’espaces peu favorables pour l’agriculture, un développement très différent de ce qui se passe dans les pays côtiers où il pleut beaucoup. Toujours est-il qu’on a cherché à mettre en place la production de viande sur de grands espaces pour répondre à une demande qui était en hausse.
C’est pourquoi on reparle de ranching en Afrique de l’Ouest, où la population a beaucoup augmenté. Et jusqu’ici on importe très peu de viande rouge. Donc, on se demande comment on va produire plus de viande sur des espaces pastoraux qui se réduisent, avec l’agriculture qui a pris beaucoup de place, et où les réserves foncières y compris forestières sont plus ou moins rognées par les uns et les autres.
Pensez-vous qu’un tel projet serait viable dans un pays côtier comme le Nigeria, qui est en passe de voter une loi pour légaliser les ranchs dans plusieurs de ses États ?
Christian CORNIAUX : Il y a plusieurs dimensions à ce niveau. Économiquement, est-ce qu’il est rentable de produire des animaux dans des ranchs en Afrique de l’Ouest, plus précisément dans les pays côtiers ? On se pose encore quelques questions à ce niveau parce qu’il faut intensifier l’élevage et l’intensification demande beaucoup d’argent et il faut trouver un marché rémunérateur. Dans ce cas, la viande risque d’être un peu chère à la production. Et pour cause, il faut prendre en compte les questions sanitaires, les clôtures, les aménagements, l’entretien, l’eau, les mangeoires, etc.
En Afrique de l’Ouest on se base beaucoup sur ces questions parce que le marché final, ce sont des consommateurs qui ne peuvent pas supporter le coût élevé de la viande. Si la viande est chère, on ne peut pas la vendre. La question de la rentabilité se pose à ce niveau. Hélas, en Afrique de l’Ouest en général, on n’achète pas la viande à la qualité. C’est là, la rentabilité économique. Il y a aussi les questions sociales et de viabilité. Ces terres-là vont appartenir à qui ?
Dans les pays côtiers où l’espace est considérablement réduit et cela ne va pas s’arranger dans les années à venir, puisque l’agriculture restera prioritaire et elle va continuer d’occuper ces espaces pastoraux.
Comment alors dégager de l’espace ? Sur quelles terres ? Cela peut être des terres d’État, ça peut être des terres partagées entre plusieurs éleveurs. C’est le problème qu’on a connu en Afrique australe. Même quand on partage les terres entre certains éleveurs, il y a des exemples dans des pays comme le Nigeria, le Ghana, le Bénin et le Togo où il existe des ranchs. Ces ranchs appartiennent soit à l’État soit à des nantis
Donc, sur le plan social, la question foncière est centrale. À qui vont appartenir ces terres ? Et du coup, des interrogations surgissent : quel est l’avenir pour les éleveurs qui jusqu’ici utilisaient certains espaces ? Qu’est-ce qu’ils vont devenir ? Pourtant, si on ne veut plus importer de viande, ce qui est tout à fait défendable, il faut produire autrement. Au bout du compte, on remarque que le ranching a de la place mais sans doute une place relativement réduite aujourd’hui, peut-être un peu plus importante dans l’avenir. Cependant, elle ne pourra pas remplacer la capacité de production de l’élevage pastoral. Vouloir dépendre du ranch, c’est quand même un peu osé. C’est vrai que la mobilité pose des problèmes de conflits dans beaucoup de pays comme le Nigeria, mais il faut penser à produire plus de viande en modernisant le système. Et le ranching pourrait être une réponse, mais cela risque de créer d’autres problèmes.
Selon vous, le ranching peut-il être un palliatif à la mobilité du bétail en Afrique de l’Ouest ?
Christian CORNIAUX : Je donnerai une réponse partielle. Je n’ai pas les chiffres exacts en tête, mais j’ai entendu parler de quelques dizaines de ranchs de 5 000 ha chacun. Quand vous multipliez 5 000 par 10 voire 30, cela représente une toute petite partie de la surface du Nigeria, alors que si on veut produire la quantité de viande dont le Nigeria a besoin aujourd’hui pour satisfaire sa demande, ce pays doit aménager au moins 10 à 15 pour cent de son territoire.
Donc le ranching est une réponse partielle, mais ça ne résout pas la question de la mobilité des autres animaux qui ne pourront pas rentrer dans ces ranchs. Dans les zones de conflits on peut conserver les ranchs et dans les autres zones, on peut continuer de garder la mobilité du bétail tout en sécurisant les zones de passages. Il faut reconnaitre qu’aucun pays côtier n’est capable de produire, sur ce mode de ranching, suffisamment d’animaux pour sa consommation. Il faut que les différentes autorités soient conscientes de cela.